L'objectif premier de mon travail sur ce lieu est d'accompagner sa restauration vers un paroxysme de vie - vies microscopiques, vies fongiques, vies végétales et animales - et de résilience face aux bouleversements qui s'annoncent. Plutôt que de demander un soutien gratuit aux gens via un crowdfunding par exemple, je produis des arbres dont la vente me permet de poursuivre ce projet. Cela fait de l'acte d'achat un engagement fort et vertueux. Je vous en remercie !
Tu parles d'accueillir la vie, qu'est-ce que cela signifie précisément ?
Aujourd'hui, l'essentiel de l'espace disponible pour le déploiement de la vie est anthropisé : modifié par les activités humaines. Cette modification est souvent - pas toujours ! - une destruction. En ville, le béton et le goudron ont supplanté le biotope accueillant la vie la plus riche sur terre : le sol -un sol vivant, c'est 10 Tonnes d'êtres vivants par hectare ! C'est aussi la base de la chaîne alimentaire, toutes les espèces qui en dépendent se trouvent donc réduites. Paradoxalement, la ville est malgré tout un refuge de biodiversité, car en campagne, les activités agricoles éradiquent l'essentiel des formes de vies indigènes, directement, par les insecticides, fongicides et herbicides, ou indirectement, par les destruction des sols, l'occupation d'immenses espaces par des monocultures, et le contrôle de la génétique du vivant. Même quand nous voyons des bois, il s'agit souvent de plantations d'arbres, en monoculture, uniformes en âge et en patrimoine génétique, peu propice à être investi par la vie que l'on trouve habituellement en forêt.
Alors - pour répondre à la question ! - accueillir la vie, c'est tout simplement permettre à toute la biodiversité de s'épanouir comme elle le ferait si le milieu n'était pas dégradé.
Photo du jardin - osmie butinant la bourrache
Photo du jardin - cétoine doré
Le principe du vivant, c'est de se déployer, de se diversifier et de s'adapter prodigieusement : pourquoi intervenir sur un processus autonome ?
C'est vrai, c'est ce qui fait la merveille et la force époustouflante de la vie. Pourtant, nous sommes en train d'observer que nous parvenons à épuiser ce qui semblait inépuisable. Je suis convaincue que si l'humanité cessait dans l'instant, d'un seul mouvement, de nuire aux processus de vie, nous observerions un regain d'une vitalité exubérante.
Mais ce n'est pas du tout la tendance. Au contraire, nous mettons toujours plus d'énergie dans des activités mortifères dont les impacts vont croissant. Quand je me déplace, j'observe le paysage et les indices de sa santé. On voit partout des cours d'eau beaucoup plus bas que la norme, des arbres avec une cime, ou des branches sèches, voire entièrement secs sur pied. Les paysages souffrent et avec eux toute la vie qui les habite. Laisser faire ne suffira pas. Dans ce contexte où les chocs climatiques et sanitaires épuisent une biodiversité déjà restreinte et affaiblie, il faut agir vite et efficacement pour lui apporter de la résilience - c'est à dire la plasticité pour absorber ces chocs. Il ne s'agit pas de se substituer à la nature, mais seulement d'accompagner et d'accélérer les processus naturels de régénération.
Photo de la serre ossature bois
Comment fait-on pour accompagner et accélérer les processus de régénération naturels ?
Il n'existe pas une méthode unique - et c'est tant mieux. Je peux parler des méthodes que j'utilise. Bien sûr, les méthodes que nous choisissons doivent être adaptées à nos objectifs, et au contexte. Pour ma part, j’œuvre sur une toute petite surface à l'échelle du territoire, 1.5 hectare (15 000 m2). A l'objectif de régénération s'ajoute pour moi aussi un objectif secondaire, mais important, de production, et un troisième, essentiel, de cohabitation : je veux sortir de la dichotomie simpliste qui veut que soit on exploite la nature, soit on la sanctuarise - en expulsant l'homme et ses activités. Je crois dans cette troisième voie, joyeuse, qui présente une humanité capable de cohabiter avec les autres vivants, d'aggrader le milieu qu'elle habite, de retrouver une place harmonieuse. En cela, je m'inscris dans le courant de pensée de Baptiste Morizot, Vincianne Desprêt, et tant d'autres. Cette humanité a existé et existe encore, comme l'ont montré Philippe Descola ou Genviève Michon - quand bien même elle est elle aussi mise à mal par le système dominant. Certains occidentaux, comme Ernst Gotsh, ont brillament réussi ce pari.
Photo du jardin - coléoptère sur poireau en fleur
Photo du jardin - arbousier produit à partir de la graine récoltée et planté sur place
Et alors, concrètement, comment t'y prends-tu ?
Il y a des outils très puissants pour s'atteler à ce travail. La permaculture en est un. Attention, ce n'est pas un ensemble de techniques, c'est d'abord un outil éthique, et un outil de pensée, de réflexion, pour faire les bons choix. La base est l'observation et la compréhension des processus naturels. Tout est là. La Syntropie, qui me nourrit aussi, a ce même point de départ. Par conséquent cela demande du temps pour se former - en biologie, pédologie, hydrologie - et pour observer le terrain, diagnostiquer, puis expérimenter. Il n'y a pas de technique infaillible adaptée à tout cas de figure. C'est ce qui fait la richesse de ce travail mais aussi la difficulté à convertir notre agriculture conventionnelle qui se réduit trop souvent à un ensemble de techniques.
Dans mon cas (comme souvent) je pars d'un terrain très appauvri en matière organique, compacté, avec une activité biologique ralentie. Pour la vie du sol, la clef de voûte de mon travail est la matière organique. C'est elle permet le stockage de l'eau, assure la fertilité, la structure du sol. Comment la nature cicatrise un sol ? Avec un cortège de plantes adaptées qui vont se succéder dans le temps et dans l'espace. L'idée géniale de la syntropie, c'est d'accélérer ce processus cicatriciel par la plantation ou le semis de ces plantes avec une densité inouïe, pour produire une biomasse vivante prodigieuse qui remplira de nombreuses fonctions écologiques, et en développant simultanément, au même endroit, les strates végétales qui d'habitude se succèdent dans le temps. Le résultat peut être d'une efficacité phénoménale, le travail d'Anaëlle Thery en est la preuve - elle n'est pas la seule en France à travailler en s'inspirant de l’œuvre d'Ernst Gotsch. Mais ces travaux sont récents, il y a encore tout à faire, à expérimenter.
Plantation d'une haie doublant une haie existante, au sein de compagnes, sainfoin et féveroles, afin de permettre un corridor de biodiversité.
Donc accueillir la vie, c'est d'abord régénérer le sol ?
C'est un peu plus compliqué que ça. Mettons : si nous voulons accueillir des oiseaux (dont les populations s'effondrent), il faut abondance d'insectes, de fruits et de graines sur le lieu - ainsi que d'espaces propices pour nicher. Donc abondance de végétaux nourrissant ou hébergeant ces insectes, produisant ces denrées, fournissant un abri. Donc un sol permettant l'abondance de ces végétaux variés. Le végétal étant le fondement de la chaîne alimentaire, tout dépendra du sol où il prend racine. Ainsi nous, petits humains en haut de la chaîne alimentaire, nous sommes très dépendants de la qualité de l'ensemble de la chaîne, de chaque maillon, jusqu'au socle du végétal, jusqu'à la vitalité du sol - il n'y aura pas d'humanité sans l'ensemble de ces maillons.
Mais pour répondre à la question, le travail de régénération a de nombreuses facettes. A l'échelle d'un bassin versant par exemple, on peut penser avec pertinence à la régénération hydrologique - restaurer les différents cycles de l'eau - par des aménagements importants qui peuvent de prime abord sembler excessifs... ils ont fait leurs preuves en permettant la réhydratation de paysages en voie de désertification, comme le montre India's Water Revolution ou les travaux de Sepp Holzer.
Le carbone, l'eau, le sol : la régénération consiste à restaurer les conditions propices à la vie en s'inspirant de la vie-elle même. La biodiversité quant à elle revient d'elle-même - pour le moment encore, du moins - quand bien même on peut planter (et réimplanter) pour accélérer son retour. Régénérer, c'est intervenir ou s'abstenir d'intervenir en faveur des processus et interactions naturelles.
Photo du jardin - champignon digérant la matière ligneuse au sol
Photo du jardin - abeille mellifère butinant des cosmos
Un de tes objectifs est d'avoir une production. Pourquoi ?
D'une part, évidemment, pour répondre à nos besoins : bénéficier d'une nourriture saine et savoureuse, fraîche et diversifiée. En cela, je peux expérimenter ce tiers rapport au vivant : une cohabitation harmonieuse qui n'est ni l'exploitation, ni la sanctuarisation - c'est la recherche d'une nouvelle façon de faire société, entre humains et avec les autres vivants.
Mais c'est aussi ce qui me permet de contribuer (de façon infime certes) à la recherche d'une nouvelle agriculture, déjà riche d'une vaste arborescence de recherche et de belles trouvailles, l'agriculture régénérative.
Comment produire tout en régénérant les processus de vie, les paysages, la biodiversité ? Voilà la question que se posent celles et ceux qui, comme moi, œuvrent dans ce sens. Pour ma part, j'ai fait un choix, celui de la forêt jardin. D'autres systèmes sont pertinents, mais en travaillant avec l'arbre au coeur du système, je fais place à l'acteur pilier des cycles de l'eau et du carbone - ce carbone qui, rappelons-le, est dans l'air un gaz à effet de serre, mais dans le sol la fertilité même : l'arbre permet cette formidable bascule.
Aussi naturellement, j'ai choisi de faire de la pépinière pour produire les arbres que j'implante - je laisse les arbres spontanés pousser bien sûr ! - je produis en excès pour pouvoir proposer les surplus à la vente et ainsi pérenniser ce projet.